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24 mai 2009 7 24 /05 /mai /2009 22:46

avril 2009 (4th)/ Colloque Caribbean Unbound IV : Re-conceiving Hispaniola (Lugano)

Communication : "Des hommes et des Dieux, au risque de l'altérité"

Dans "Hispaniola", on reconnaît une appellation historiquement datée à laquelle s'associe l'mage d'une colonie qui a réuni Saint-Domingue et Haïti.  Le deuxième terme de la réflexion ajoute un parti pris résolu d'ouverture temporelle et spatiale : une capacité à englober le temps et l'espace et à mettre Haïti d'aujourd'hui en perspective dans cet ensemble. C'est un parti pris que j'ai fait mien.

Ensuite, re-conceiving, est-ce repenser Haïti ? ou est-ce repenser les outils de considération, les catégories de pensée qui jusque là ont permis l'élaboration de sa ou de ses repréentation(-s) ? J'ai choisi de postuler que de la seconde hypothèse naissait l'autre.

Si le discours sur soi correspond à une démarche réflexive évidente dans la pensée occidentale, fille du gnôthi seauton grec et de Descrates, dans le cas de la Caraïbe, il n'en est rien.

 

La Caraïbe qu'il faut entendre ici comme Grandes et Petites Antilles, Caraïbe insulaire et continentale fondée par une expérience similaire de l'espace plantationnaire esclavagiste est un espace géopolitique et culturel qui a toujours été déterminé de l'extérieur.

 

D'abord, la propagande impérialiste coloniale alliée à des préceptes naturalistes plus tardifs en ont fait la figure irréductible de l'altérité, cet Autre si essentiellement étranger (extraneus) ; tout à la fois lointain et éloigné parce que sauvage, barbare et primitif.

Or, pour les autres Caribéens, s'est opérée une mythification d'Haïti et de ses figures (Toussaint Louverture, Christophe), liée à son indépendance, devenue de haute lutte la première république noire, thème qui parcourt la littérature et les arts de l'arc antillais francophone, anglophone et hispanophone. Haïti a la particularité d'être l'Autre de l'Autre, la différence dans la différence. Discours de l'altérité radicale développé par le Caribéen porté sur lui-même.

Mais la question de l'altérité ne disparaît pas puisque le projet des anciens colonisés prenant la parole a été de se revaloriser au coeur même du discours préexistant. Il a fallu accéder au statut pour que le concept d'Universalité concerne aussi les Caribéens. J'avancerais donc que la "décolonisation" (qui est à entendre ici comme élément de contextualisation historique plutôt que comme phénomène économico-politique), avec les mouvements de la Négitude ou de la créolité par exemple, ont tenu sur eux-mêmes un discours de l'Autre introjeté, car le regard qui avait été porté jusque là  était intégré, point de départ et de référence de cette première parole même si elle visait à la réhabilitation et bien qu'elle ait réalisé indubitablement un retournement de regard.

C'est cette évolution des regards qui explique le choix du support de mon propos. Il s'agit pour moi de considérer , avec vous en quoi le film documentaire Des hommes et des dieux d'Anne Lescot et de Laurence Magloire est révélateur/annonciateur d'une étape fondatrice et fondamentale, nouvelle, de l'histoire du regard de la Caraïbe sur elle-même, celle de l'autonmisation du regard et du discours ?

I/ Des hommes et des dieux, synecdoque d’un regard autocentré

Des hommes et des dieux résulte de la collaboration de deux femmes haïtiennes : Anne Lescot, anthropologue, qui a fait du vaudou son domaine de recherche de prédilection  et Laurence Magloire, réalisatrice.  

Des hommes et des dieux intervient après une précédente collaboration Lwa yo voye rele’m (documentaire court-métrage en 2000) sur le vaudou et la transe.

Des hommes et des dieux Film documentaire en couleur de 52 minutes que les réalisatrices et leur caméraman ont mis près d’un an à tourner en rencontrant chaque semaine les huit masisi du film, jeunes homosexuels et travestis haïtiens qui pratiquent le vaudou.

Mais comment un film documentaire (pb de la narrativité et reconstruction donc de la part de film dans la méthode documentaire) sur l’homosexualité peut-il annoncer/ révéler cette nouvelle étape dans l’histoire du regard de la Caraibe sur elle-même que j’ai annoncée plus tôt ?

 

A.L’altérité radicale en image ? circonscrite.

Récompenses nombreuses des différents festival gay et lesbien peuvent faire croire à une appartenance / confiscation au cinéma queer, représentation à l’écran des homosexuels, de leur vies, problématiques et préoccupations humaines avec angle spécifique. Une quinzaine de récompense de 2002 à aujourd’hui.

 

1)Hors réseau queer: est-ce altérité sexuelle radicale ? retour tradition du 1er moment de l’anthropologie cinémato [cf création du bon /mauvais sauvage] ? non

 

principe général du film : un personnage face caméra répond aux questions de la documentariste.

→ Le procédé pourrait paraître discutable s’il ne visait pas et ne réussissait pas à mettre le spectateur dans une position de confort (connue de lui, traditionnelle, simulacre de l’objectivité totale, l’absence de nécessité de prendre en charge affectivement ce qui est dit, simple succession d’informations)  tandis que le sujet ou le contenu est susceptible d’être la source d’inconfort, voire de rejet (en l’occurrence réactions homophobes).

 

Le film met en place et tire profit d’un dispositif traditionnel dominant de l’interview/entretien plus propre à la méthodologie du reportage journalistique.

→ altérité sexuelle radicale circonscrite

 

2) thème du vaudou, altérité religieuse radicale ? à cause d’un imaginaire occidental collectif envahi par les films ? non plus.

 

Indubitablement,  Des hommes et des dieux traite du vaudou, religion liée à Haïti dans l’imaginaire occidental comme la Santeria est brésilienne dans le même registre ou dans un autre registre que le théâtre nô est japonais.

Place du vaudou est centrale dans ce documentaire d’autant plus que la responsabilité d’une déesse vaudou Ezili Freda Dantor dans l’homosexualité des personnages en est le fil conducteur.

 

Mais le film, même quand il propose des séances et des transes neutralise et rend caduc les images d’Epinal, celles « des primitifs des pays arriérés » (Seabrook, NY, 1932 en préface à Le roi de la Gonaive, le culte vaudou en Haïti du Lieutenant Faustin E. Wirkus) qui lui sont associées : pas de sacrifice animal,  pas de sang bu.

Le geste anthropologique est toujours esquissé, jamais exposé :

  • une femme tire un vévé,
  • la transe est montée au ralenti,
  • au moment des danses, les yeux seuls sont filmés…

 

Le refus d’une explication légitime le vaudou en tant que religion et le soustraie à toute hiérarchie défavorable au regard des grands monothéismes, le soustraie à tout jugement.

Le refus d’explication ou de justification re-sacralise ? peut-être pas.

Donne de la transcendance à ce culte, imposant rappelant que l’inexplicable, l’inexpliqué sont bien de l’ordre de la foi. Cf  panoramiques horizontaux, du haut vers le bas sur des

→ Altérité religieuse à peu de frais, elle aussi circonscrite

 

Voilà pourquoi je pose que Des hommes et des dieux est un film documentaire qui traite d’homosexuels travestis vodouisants peut être le révélateur d’un nouveau regard autocentré.

Définitions « liminaires »

1)masisi étymologie : cf occupation américaine de 1915 : mah-see-see/my-he-she to call one’s lover

2)vaudou : syncrétisme religieux, mélange de christianisme et de religion africaines,

et considérer, à la suite Fritz Calixte et Edelyn Dorismond, dans le n°de la revue haitiano -antillaise consacré aux pratiques religieuses de la Caraïbe : « comment reconnaître ou laisser être les pratiques religieuses afro-caribéennes pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des pratiques qui sont avant tout, les expressions du rapport caribéen au monde ? »

 

B.Nouveau regard=nouveau discours = Se donner à soi-même sa propre loi

Analyse de la narration cadre :

dialogue entre Des hommes et des dieux et Puerto Principe mio : Puis, un objet d'analyse de prime abord "inanimé", une ville, la ville de Port-au-Prince contre un objet animé, un groupe humain, une communauté : ce sont les "masisi".

Tout séparait les deux films jusqu'au choix de la narration cadre : à la forclusion imposée par le sujet qu'est  la ville, démultipliée par un réseau d'espaces clos relais, cases et bureaux où se réalisent les interviews, répondait un principe de progression erratique,  double narratif de la découverte en cours d'une communauté (membres, habitudes et règles). L'alternance entre les chemins empruntés et les lieux qui souvent donnent sur l'extérieur organise l'espace des masisi,  homosexuels et travestis, selon un motif du clos- ouvert qui est chez Depestre  celui de la transgression.

 

Choix narratologique : donner la parole. + Laisser parler ou faire parler

Faire parler : la seule question de la documentariste qui filtre est celle-ci posée au membre de la famille de l’un des masisi : « e ou, papa ban mwen on histoi »

Formule peut paraître problématique : mwen (à moi), documentariste comme meium unique de transmission/interlocuteur quasi exclusif

Notons la formulation  ouverte « donner une histoire », place pour le récit.

 

Laisser parler un petit groupe = la caméra est placée au centre du groupe, univers référentiel unique.

Espace ou univers clos, qui fonctionne en huis clos du point de vue de ses personnages. La parole est la leur.

séquence d’Innocente

Des travestis écartés de l’espace social parce que l’homosexualité y est taboue, sont intégrés grâce au vaudou.

Mieux, en tant que hougan. ils détiennent la parole pour les autres et sur eux-mêmes. Ils sont libres de dire « je ».

→  auto nomos.

  • Idem film documentaire

Comme plus tard, La vi ka bel pou tout moun (2003, 30’), c’est très parlé mais sans commentaire et en créole.

« La révolution  culturelle, notait Rachèle Magloire, c’est que le créole soit une langue qui va de soi pour le documentaire. »

« La demande des diffuseurs est le français, indique Anne Lescot, mais le créole restitue la parole et la pensée du peuple. »

→ pas de vérité imposée. S’agit-il du portrait de la communauté homosexuelle d’Haïti ? Certes pas. Des individus.

Au mieux un groupe d’amis.

 

II/Révolution copernicienne renversée : se regarder

J’ai beaucoup parlé du film mais vous n’en avez pas encore vu la moindre image.

A dessein → ne pas le déflorer mais en proposes une interprétation  alléchante

Retour au propos de départ : évolution du regard et aboutissement à un discours sur soi aux modalités nouvelles.

C’est à ce titre que la 1ère séquence du film/ séquence d’ouverture est convoquée.

Séquence d’ouverture

A.Jeux et histoire de regard

Séquence d’ouverture dure 1’46 présente les 3 personnages principaux sur lesquels repose le film et consiste en un résumé du montage des séquences (sur 6) qui en font la trame. Ouverture in medias res. Séquence troublante

Retournement des codes traditionnels du documentaire : voix off ≠ voix scientifique cf. Las Hurdes de Bunuel, qui donne du sens à l’image.

Ici qui parle ? homme ? femme ? focalisation interne « je », externe « il/eux »

Pour dire quoi : en ouverture soit à l’emporte pièce soit déclaration absolue. la force de conviction : voilà qui je suis !

Voix off décalée, dérangeante ? voix improbable, celle de ceux qui n’ont pas dans la réalité voix de cité.

 

Photogramme 1 : 1er moment de l’histoire du regard de la Caraïbe sur elle-même

1er regard : la camera œil regarde quelqu’un de dos. Importance portée à notre connaissance par un léger panoramique horizontal de gauche à droite.

Filmé de dos et à la fois à distance → indéterminable, absence d’identité.

Par jeu de travelling avant, on se rapproche sans jamais déterminer une ID → négation

Echo cinématographique qui montre/garde la trace des regards antérieurs, des regards extérieurs qui réduisent/chosifient (cf. Sartre : l’Enfer, c’est les autres)

Clairement refus du champ –contre champ : ne pas pouvoir devenir ni mon propre objet ni sujet

Photogramme 2 : Innocente. Renversement, face caméra. Devient individu que l’Autre désigne. Fonction déictique de la perspective et du découpage quasi pictural du cadrage

Photo 3 : rencontre de soi. Mais regard introjeté. Opposition couleur.

Photo 4 : regard sur soi-même ; plan superbement équilibré + voix off : je m’aime comme je suis

Photo 5 : gros plan visage. Légère contre-plongée. Regard vers l’horizon. Je suis-je

→ de la nécessaire exploration de qui je suis sans exotisme, sans coquetterie.

Toute l’histoire du regard de la Caraïbe porté sur elle-même.

 

B.Le motif du miroir

Photo 6 :

Des dieux et des hommes résulte de la collaboration de deux femmes : Anne Lescot et Laurence Magloire. La 1ere, née en 69 d’un père haïtien (lien avec l’ancien président ?) et d’une mère française.  La seconde née en 1958 à Port-au-Prince, elle travaille pour la tv canadienne. Chacune à sa manière sont dans l’entre-deux –entre Haïti et ailleurs -, un film traitant d’une "autre homosexualité", celle des masisi. Ce qui constitue une articulation résolument actuelle du concept de l’altérité : « l´« autre » peut prendre des visages protéiformes et l’altérité est une question personnelle, singulière et unique, cachée parfois derrière le masque du même [1]».

Superposition d’Innocente et de AL : redéfinition de l’ID ? ouverture diasporique ,

ID qui ne soit ni couleur, ni sexe, ni sexualité..

Photo 7-8

le film également se regarde quand il se trahit. Forme de mise en abîme du travail de réalisation.

Or, tournage + montage = production du discours.

Dans le cas précis, c’est pour Anne Lescot devenir sujet d’un discours que je formule en un renversement de la détermination de l’identité : ceux qui étaient déterminés ne le sont plus ; Du passif vers l’actif.

De ce qui est perceptible par les sens (l’apparence) au logos/discours. Se donner une existence [légitime aux nombreuses composantes]. SE NOMMER  Les personnages plus que des lignes/crédits à la fin du film qu’ils excèdent. Séquence finale

 

 

Conclusion : se penser, centrés et autonomes

Le cinéma contrairement à la littérature est analogique. Il prend les espèces du réel. Dans le cas du film documentaire, les choses sont encore plus compliquées. Qu’est-ce qui relève du réel (en tous les cas ce qui est isolé et désigné comme tel) et qu’est-ce qui ne l’est pas et peut être attribué à la volonté/ l’intentionnalité du réalisateur ?

En d’autres termes, est-ce que ce que j’analyse y a été mis ? Non, probablement pas consciemment.

D’où mon enthousiasme.

Bien d’autres choses à dire sur la nécessité d’autocentré le regard, sur ce film documentaire et les géographies qu’il dessine, sur ce qu’il tisse et met en œuvre le motif diasporique du chemin

 

 

 

 

Bibliographie :

Guy Hennebelle, Catherine Ruelle, « Cinéastes d’Afrique Noire », in l’Afrique littéraire et artistique-CinémAction n°3, 1978.

Alessandra Speciale et Catheriine Ruelle, « La Naissance du cinéma africain », in Le Festival du jeune cinéma de Turin, 1998.

 

Ouvrage collectif sous dir de Catherine Ruelle, en coll. Avec  Clément Tapsoba et Alessandra Speciale, Afriques 50, singularités d’un cinéma pluriel,L’Harmattan, 2005, 334 p., ISBN : 2 7475 82 05 1.

Intéressant : grandes dates du ciné africain p.299

 

Les cinémas d’Afrique (Dictionnaire), présenté par le FESPACO[2] et l’Association des Trois Mondes[3], Karthala et ed. ATM, Paris, 2000, 593p. ISBN 2 84586 060 9

Organisation : I :les réalisateurs par ordre alphabétique p.17 / II : Index Titre des films p.503 / III : Index-Pays/ réalisateurs p.571

 

Revue des littératures du Sud/Notre Librairie, Cinémas d’Afrique, n°149, oct-décembre 2002, 166p., ISSN : 0755 38 54 / ISBN 2 9140443 67 8 (10,50 euros)

www.adpf.asso.fr/notrelibrairie et tel 01 43 13 22 85, vente fnac, l harmattan et présence africaine

 

Denise Brahimi, Cinémas d’Afrique francophone et du Maghreb, Nathan U, coll 128 cinéma, 1997, 128p, ISBN 2 09 190363 9

 

 

 


[1] Jorge Peña , "L’altérité en questions", Acta Fabula, Ouvrages collectifs, URL : http://www.fabula.org/revue/document4588.php 

 

[2] Festival panafricain du cinema et de la tv de Ouagadougou

[3]Gpe des Trois Mondes : tte info sur film du Sud avec centre de documentation (10 000 dossiers sur réalisateurs du Sud), banque de données Alizées  (recensement des films produits en Af, Asie et Am latine/ mission de conseil), revue Image Nord Sud.  Cinémathèque : location de films en 16 et 35 mm.

63 bis rue du cardinal Lemoine Paris 5è, Fce. Tel 01 42 34 99 09 Fax 01 42 34 99 01.

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