Septembre 2008 PROJET DE THESE soumis à Claude Murcia
L’invention d’un cinéma antillais ou existe-t-il un cinéma antillais ?
Demander : « Qu’est-ce que le cinéma ? » n’équivaut pas à la question : « le cinéma existe-t-il ? ».
La première question suppose la préexistence du cinéma pour au mieux, en interroger l’essence ou au pire, en considérer les manifestations contingentes particulières et différentes. La seconde question pose comme discutable cette existence et donc l’impose comme horizon à établir. En outre, ces questions entraînent des réponses qui appartiennent à des registres différents. Quand la question de l’essence artistique ouvre sur les réponses concomitantes que sont la poétique et l’esthétique, la solution à celle de l’existence repose sur un procès d’attestation / authentification fondé par le recours à un discours historiquement centré.
Le projet historiographique a en commun avec le projet mémorialiste d’induire et de mettre au jour le rapport à l’histoire du sujet considéré, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un thème. Toute étude historique sur le cinéma superpose donc aux scansions de l’histoire politique mondiale du XXème siècle celles plus spécifiques de l’art à la même époque croisée avec l’histoire du pays envisagé. Le champ non encore investigué est contraint, balisé par les deux autres déjà constitués. L’ouvrage d’Emmanuel Larraz, par exemple, s’inscrit bien dans cette perspective, ce qu’indique clairement les mentions qui composent tout entier le titre. Elles sont géographiques d’une part « le cinéma espagnol » et chronologiques et méthodologiques d’autre part : « des origines à nos jours ». En guise de préface à cette publication dans la collection 7è Art, Luis Garcia Berlanga répertorie les obstacles "naturels" qui se dressent sur la route de l’historiographe d’un cinéma national : « Dans le cas d’Emmanuel Larraz l’effort est double, car il a tout d’abord affronté les difficultés auxquelles se heurte tout historien, c’est-à-dire la recherche de documents, des œuvres, des témoignages, etc […] Je crois sincèrement que peu de metteurs en scène ibériques sont capables de donner des renseignements suffisants sur leur propre œuvre sur laquelle ils ne conservent par ailleurs guère de documentation. Et il en va de même pour les producteurs, les distributeurs et même les organisateurs officiels de l’Administration très peu soucieux de la conservation des archives. »
La question de l’existence ou au préalable de l’invention du cinéma antillais impose donc un travail de rassemblement de la documentation similaire.
Mais mon projet diffère de celui d’Emmanuel Larraz, car il a pour cadre un espace géographique référentiel si ce n’est problématique, en tous les cas complexe en terme de définition. La Martinique et la Guadeloupe sont des départements français qui ont produit au moins un réalisateur récompensé à défaut d’être (re-)connu. En l’occurrence, il s’agit d’une réalisatrice, Euzhan Palcy Bien que de nationalité française, elle n’apparaît pas dans les monographies nationales. La complexité est inhérente aux espaces dits ultra-marins : une supranationalité française, des influences artistiques françaises indéniables mais tout aussi indéniables sont les influences géographiques de la Caraïbe, de l’Amérique du Nord voisines et de l’Afrique avec qui les îles sont historiquement liées.
Quelle en est la conséquence pour les Antilles françaises ? C’est, entre autre, une place particulière, en lien mais distincte, dans l’histoire et l’histoire artistique de la France.
Je conçois cette recherche comme l’occasion offerte d’effectuer un travail de collecte d’informations sur le cinéma et la production, la réalisation, l’histoire et l’industrie cinématographiques, en partant des quelques travaux déjà existant à ce jour, un parcours le plus complet du processus cinématographique : depuis l’élaboration du scénario, conception du film, même dans sa dimension économique jusqu’à la consommation, réception. La littérature comparée est engagée dans l’adaptation et l’écriture de scénario.
Quelles seraient les dates les plus anciennes pour une interrogation qui serait formulée à partir de 2008 ? Vers quelle date d’arrêt ?
Identifier une dizaine d’œuvres significatives pour se demander comment le cinéma antillais s’est créé ? Avec quelles qualités et quels défauts ?
Car à considérer les nombreux ouvrages qui portent sur le cinéma, même si l’on se cantonne à la seule édition française, il s’avère qu’ils investissent les champs complémentaires de l’exégèse cinématographique. La grammaire et le langage du cinéma, sont scrutés en même temps que son essence artistique est questionnée et théorisée. Nous ne pourrons pas faire l’économie de cette analyse complémentaire et croisée.
En littérature, il y a peu, Dominique Chancé s’est confrontée au même challenge en l’étendant à la Caraïbe. Les pistes critiques qu’elle a empruntées ont dessiné un double mouvement centripète et centrifuge puis elles l’ont emmenée à poser le caractère baroque de la littérature caribéenne. En dernière instance, elle conclut au caractère archipélagique, à l’"entre" : « La littérature antillaise existe-t-elle ? Un ensemble des littératures antillaises, à la fois très hétérogène et cohérent, pourrait à tout le moins s’esquisser. De cet ensemble encore largement virtuel –nul ouvrage ne l’a encore construit comme objet scientifique, nulle tradition ne le soutient (…) Les littératures des Antilles sont, en effet, constituées d’ensembles linguistiquement séparés, mais elles sont de proportions et de nature très variables. »
Qu’en sera-t-il pour le cinéma ? Ce dont nous sommes assurés à ce stade, c’est de la constitution antérieure d’une historiographie du cinéma dans les grandes Antilles, à Cuba et en Jamaïque. Le cinéma des Antilles françaises est-il un "entre" d’autres îles de Grandes et des Petites Antilles ?
Méthodologiquement, nous pourrions envisager d’abord d’emprunter à la veine des Cultural Studies tels que Thomas Mitchell, par exemple, les préconise afin d’ « [étudier] la production et la réception des films comme pratique socioculturelle, en dehors de toute évaluation esthétique ».
Le cinéma est ligne de culture. Je souhaite que le panorama des films présente des questions signifiantes tant d’un point de vue culturel, sociologique et anthropologique.
La variété des supports est préférable : films de fiction et films documentaires, longs et courts métrages, archives sonores inconnues, collections privées, etc…
Mais après avoir déterminé l’existence d’un cinéma antillais francophone par un travail d’archives, il s’agira d’appliquer aux films qui le composent les nécessaires paramètres du jugement : valeur, beauté et excellence.
N’est-il pas temps, en effet, de procéder à la mise en place du début de la réflexion, l’analyse pour l’acceptation ou le rejet fondé d’une pratique et d’une production qui existent bel et bien ? Enfin, les propositions cinématographiques antillaises relèvent-elles de l’art défini comme "cosa mentale" ?
Notes de bas de page
Synthèse historiographique sur le cinéma cubain réalisée par Paulo Antonio, in Le cinéma en Amérique latine, le miroir éclaté, historiographie et comparatisme, Paris, L’Harmattan, 2000, pp.196-200.